▷ Blie est considérée comme le point noir de la famille, son état d'esprit de surdouée l'amenant à être incomprise et mise en marge. ▷ Elle a toujours rêvé d'aventures et de voyages, et n'hésite pas à toucher à tout pour étancher sa soif de connaissance. Mage, elle avait néanmoins eu une grande hésitation dans sa jeunesse quant au choix de sa carrière, or celle-ci s’est imposée à elle comme une grande évidence. ▷ Elle ne pense pas comme la plupart des individus, la simplicité l'ennuie, et là où les autres se tirent les cheveux, elle ne réagit pas. À l'inverse, ce qui paraît normal pour d'autres l'amène souvent à froncer les sourcils ou s'exaspérer. Ainsi, elle recherche toujours la petite bête, la dose de complexité. Pour se sentir bien, elle a besoin que ses neurones soient toujours occupés. ▷ Ses parents ont abandonné l'idée de la marier, elle est plutôt considérée et connue comme une mage misanthrope mais douée dans ce qu'elle entreprend. Image que ses tendres géniteurs n'apprécient guère et qui véhicule nombre de rumeurs. ▷ Blie est atteinte d'un trouble du comportement qui lui provoque des tremblements de mains, situation parfois handicapante mais surtout embarrassante. Bien qu'elle-même, elle se fiche de l'avis d'autrui là-dessus. ▷ L'intonation de sa voix semble toujours maîtrisée aussi bien qu'aucun voile ne vient se briser sur son regard. En somme, elle ressemble à une coquille d'intelligence dénudée d'émotions, ce qui l'amuse fortement. En vrai, elle n'y peut rien, elle est naturellement ainsi, comme si elle était programmée pour résister aux tempêtes. De l’extérieur. ▷ Elle porte une affection particulière à la nature, ce qui la plonge parfois dans un état second de réflexion ou de simple contemplation. ▷ Blie paraît si simple et inoffensive, que des impertinents prennent plaisir à la bousculer. Or, la demoiselle ne manque pas d'assurance et d'arrogance, sans compter le fait qu'elle sache se défendre un tant soit peu. ▷ Elle parle souvent toute seule, quand ses réflexions s'égarent au-delà de ses lèvres. Elle n'est pas folle, elle pense beaucoup. Tellement, qu'elle s'en trouve être victime d'insomnie, ou perd le fil d’une conversation. ▷ La manipulation ne lui fait pas défaut, notamment quand elle se pense invincible, et prend plaisir à jouer avec des individus. À sa façon, c'est à dire en en faisant ce qu'elle veut, ou bien en les attachant presque sur une chaise pour leur exposer une thèse qui la taraude et dont, sans aucun doute, ils n'en ont rien à faire. Particulière la jeune femme, oui.
21 grammes, le poids d’un colibri
AN 232, PREMIERE LUNE, BAKLORH.
Du bois terni par le temps, l’usure s’échappant de ses traits mais ne la rendant pas moins majestueuse. Gondolée, claquée, sortie de ses gonds, fermée avec douceur, réparée, elle savait tout d’elle. Les grains de poussière qui s’accumulaient sur sa poignée lorsqu’un rayon du soleil s’y posait vers quatorze heures. Le nombre d’impacts d’objet divers que le panneau avait encaissé, le nombre de tâches sombres lorsqu’il affrontait la folle course d’une coupe de vin. L’estafilade qu’un canif avait laissé là, les copeaux de bois qui s’échappaient sans demander leur reste. Ce n’était qu’une porte, une simple porte. Un battant entre leur monde et le sien, entre l’incompréhension et le repli. Jolie Blithildis, à peine plus haute que trois pommes, laissa glisser ses doigts le long d’une récente entaille puis vint poser ses deux mains à plat sur la fraîcheur humide du bois. Souffle court, visage dégagé pour parfaire son ouïe. L’espace de quelques secondes, de quelques tourmentes.
« Je ne suis pas d’accord. » Un froissement se fit entendre, tandis que la dite personne se laissa tomber sur un siège.
« Tu n’as guère le choix, Solveïg. Demain, tu pars rejoindre ton époux et ton frère à AnkNor comme il était prévu, et Blithildis va t’accompagner. » Malgré l’épaisseur de la porte, le faible soupir émis par Solveïg n’échappa à la petite fille qui épiait la conversation.
« Mère, je ne peux pas. » « Ce n’était pas une question, tu as des responsabilités à prendre. » « Je ne veux pas m’occuper de la battarde ! » « Suffit ! Blithildis est ta sœur, et je ne tolère pas de tels blasphèmes sous mon toit. »L’enfant n’écouta pas ce qui suivit, le mal était déjà fait. Encore une fois, une énième, comme une épine qui ne cessait de vouloir se frayer un chemin en son être. Serrant ses mains frêles, Blie se pencha légèrement et vint poser son front contre le battant, les yeux clos et la mine soucieuse. Elle resta prostrée quelques temps dans cette position, sans émettre le moindre bruit, le moindre mouvement, si ce n’était le pli de son front qui se détendit au fil des secondes. Une nouvelle fois rejetée par sa famille, elle n’était pourtant pas de ces enfants bruyants qui posaient problèmes. Elle n’était pas comme ses parents, comme la fratrie, et là était tout le souci. Blie était petite et fragile, quand ses sœurs étaient grandes et charismatiques. Brune, alors que chaque membre des Wieslaïv était blond. Et un esprit simplet, disaient-ils. Indéniablement, un fossé s’était creusé, et quand Malthän et Alienor certifiaient qu’elle était leur enfant, sans plus d’effusion de sentiments, Blie était sujette aux moqueries et propos déplacés de ses sœurs. La nature l’avait différencié du troupeau, lui avait donné ce qu’aucun Wieslaïv n’avait obtenu naturellement. La faculté de tout comprendre, de tout appréhender. Elle n’était pas comme les autres, il était vrai, et quand bien même personne ne lui portait peu d’attention à son égard, elle s’était promise de s’en sortir. Au fond, partir n’était qu’un cadeau.
Blie était l’oasis d’un désert, la fleur se battant pour sa survie parmi l’herbe desséchée, le soleil après la pluie, le sourire séchant les larmes. La différence, l’inattendu, l’élément perturbateur que des truands s’évertuaient à asservir. La jeune fille détonait de sa famille, positivement, et par conséquent, leur faisait grossièrement de l’ombre. Bonne famille, respectée et respectable, leur dernier enfant apporta en sa naissance indésirable le vent frivole du changement. Et pour que cela n’ait point d’encombrement, il fallait qu’elle parte.
Est-ce le poids de notre âme ?
AN 245, SIXIEME LUNE, ANKNOR.
« Dix minutes que tu m’observes, tu souhaites prendre racine ici ? » Un ricanement surgit alors que son propriétaire émergea de derrière un arbre. Le jeune homme en question dévisagea sa sœur, une jeune femme menue, agréable, des cheveux d’encre et un incroyable sens de l’observation. Quelques pas, et il se tint à ses côtés.
« Il est inconcevable et particulièrement dangereux pour une demoiselle de pratiquer de telles activités, d’autant plus sans la présence d’un valeureux compagnon. » Chuintement de la lame qui sort d’une poche, sifflement de son parcours et bruit sec, presque imperceptible, lorsqu’elle vint se planter aux côtés de ses semblables au cœur d’un morceau de bois sec. Enfin, Blithildis se tourna légèrement vers son frère.
« Je ne me savais pas être une demoiselle. » Son interlocuteur leva les yeux au ciel à cette simple auto-dérision, alors que sa posture démentait ses paroles précédentes. Les bras croisés sur la poitrine, son éternel air jovial sur le visage, et son incroyable regard digne d’un océan d’azur où était perpétuellement empreint un air rieur.
« Le terme de sauvageonne te qualifierait mieux, je l’admets. » Il était certainement le seul membre de leur famille de bonne aisance à se montrer aussi aimable, respectueux et boute-en-train envers Blie. Les préjugés à l’attention de sa jeune sœur ne l’avaient guère effleuré, et malgré la distance de plusieurs kilomètres établie entre eux dans leur enfance, ils étaient désormais aussi liés que des âmes sœurs. Dans un sens.
« Je ne pensais pas que tu maîtriserais le maniement d’une lame, aussi petite soit-elle, si vite. » Alcide accompagna sa sœur récupérer ses livres posés aux côtés de sa cible de fortune, tout en rangeant les poignards plantés dedans, tandis qu’il attrapait la gouse qu’elle avait au préalable attraper. Blithildis, sans lui accorder un regard, ne put s’empêcher d’esquisser ce sourire si sacré dont seul son frère pouvait se vanter de l’avoir vu plus d’une fois.
« Certainement le fruit des bons conseils d’un guerrier futé. » Surpris pas sa nomination, exagérée il était vraie mais fondée, il l’a dévisagea tandis qu’elle prenait soin de ne pas abîmer ses vieux grimoires en les plaçant dans ses bras. Bien qu’elle était différente de la plupart des individus par son esprit particulier, et quand bien même une bonne conduite ne lui faisait jamais défaut, elle n’hésitait néanmoins jamais à aborder des comportements typiquement masculins qui en faisaient soupirer plus d’un. Alors que ses attitudes ne laissaient que rarement transparaître des émotions vivaces, Blithildis souriait. Souvent. Des sourires implacables, enjoués ou fracassants, de marbre ou de douceur. Et pourtant, on peinait à deviner s’il s’agissait là de sourires sincères ou dénudés de sens, porteurs d’un message ou d'avertissement. Nombreuses étaient les fois où la commissure de ses lèvres s’étiraient par ironie, moquerie, dédain. Mais envers Alcide, envers le seul être où elle se montrait réellement humaine, toute sa personne était imprégnée d’émotions non feinte.
« On sait tous les deux que mon rôle n’est pas aussi important que tu le prétends. » Blithildis releva son visage, portant sur lui ses prunelles teintée d’intelligence, ce regard si sérieux et envoutant, cette coquille que tous pensaient vide. Un faible soupir s’échappa d’entre ses lèvres, tandis qu’un tremblement parcourut sa main. Bref, pour une fois. Atteinte de ce trouble depuis sa tendre enfance, elle en était si habituée qu’elle ne laissa pas tomber les livres qu’elle tenait.
« Je ne peux prétendre le contraire sans paraître pour une idiote, ni l’affirmer sans paraître prétentieuse. Quelle réponse veux-tu ? » Des remarques atones, comme lassée. Il était vrai, quelques observations, un léger entraînement, et elle avait su refaire les mouvements qu’elle avait mémorisé sans l’ombre d’un doute. Elle était ainsi, mais loin d’être parfaite. Incapable d’entretenir une réelle relation normale avec quelqu’un, ni une conversation sans que son ton ou son attitude ne viennent éreinter l’interlocuteur, pas plus qu’il fut possible de la marier ou de lui ôter son indépendance marginale. Une main se glissa dans ses cheveux pour l’ébouriffer comme si elle n’était encore qu’une enfant, et Alcide vint lui déposer un léger baiser sur le front.
« Je suis désolé. J’avais conscience de te mettre dans une situation délicate mais je l’ai néanmoins fait. » Blie se détacha, recula de quelques pas, comme à son habitude. Dans son particularisme, elle n’était jamais très encline à ce qu’on la touche, qu’on l’approche de si près. Loin de s’en formaliser, il n’était plus à ce détail près avec sa sœur, Alcide réajusta le gibier d’un mouvement d’épaule et feint un mouvement de tête en direction de leurs montures.
« Rentrons. »La mécanique du corps qui détale comme une lâche, misérable incapacité humaine qui s’attarde sur ses muscles, impuissance qui s’accable dans ses poumons. Un feu puissant, un feu qui ronge. Dévorant son oxygène, éreintant ses articulations. Pourtant Blithildis ne s’arrête pas, mais s’envole. Alors qu’elle se trouvait dans la ville cendre, un étrange malaise l’imprégna, lui dévorant sa rationalité au passage. Un mauvais pressentiment comme elle ne les aimait guère, son hésitation ne s’estompa qu’au bout d’une piètre seconde. Elle était partie. Ascendant l’escalier des mille par volée de plusieurs marches, courant comme si sa vie en dépendait. À chaque foulée, son cœur manque de rater un battement, tout comme ses pieds manquent de la faire tomber tant elle s’empêtre dans les bas de sa robe. La porte de la demeure ne l’arrête pas, pas plus que de quelconques domestiques. C’est une jeune femme loin de l’allure convenable pour sa stature qui se poste à l’entrée de la chambre. Essoufflée, des tremblements incessants de sa main qu’elle serre contre sa poitrine qui se relève dans de mouvements saccadés pour reprendre son souffle, les cheveux défaits. Le regard fou. Elle embrase la pièce du regard sans réellement voir ce qu’il s’y tramait, elle avait déjà compris. Des personnes attroupées autour d’une Armure étendue sur le lit. Une frêle silhouette se glisse à ses côtés, lui prend la main.
Blithildis s’effondre comme jamais cela ne lui était arrivé.
Alcide est mort.
Est-ce le poids de la vie ?
AN 247, ANKNOR.
D’un geste vif et exaspéré, Blithildis releva la tête et dévisagea l’impertinente personne venue la déranger.
« Que veux-tu ? » Voix sèche, mais visage neutre, dénudé de sentiment particulier. Il sembla que la réponse mit trop de temps à venir car la demoiselle insista dans un froncement de sourcils.
« Solveïg ? » Sa sœur aînée, celle qui l’avait conduite à AnkNor des années plus tôt et élevée à l’instar de ses parents, semblait perdre ses mots avant même qu’elle ne les prononce. Les traits tirés, un rictus au coin des lèvres, la détermination ne lui faisait pas défaut. Visiblement, elle peinait à se maîtriser et se montrer cordiale, comme à chaque fois qu’elle devait lui adresser la parole.
« Je viens chercher ma fille. » Sourire évasif, et Blie replongea dans la lecture de son livre.
« Maëlys est assez grande pour décider de ce qu’elle souhaite faire de ses temps libres. » « Tu ne comprends pas. » La réponse avait fusé, instantanée, ne manquant pas de tiquer la Mage. Elle releva la tête une énième fois, posant son bouquin à plat sur sa table et croisant les mains.
« Tu viens me déranger dans mon travail pour m’assener une telle calomnie ? » Ses paroles étaient sèches, pourtant rien dans son comportement ou dans son intonation ne le laissait paraître. Le regard qu’elle posait sur sa sœur aînée était assez éloquent.
« Ma nièce n’a rien fait de mal et son objectif n’était que de s’instruire, tu ne peux pas le lui empêcher. Si son bon plaisir pour cela est de venir me voir, laisse-lui ce droit. » Les membres Wieslaïv étaient hétéroclites, principalement des gouvernants ou historiens, seuls Alcide et Blithildis s’étaient différenciés des traditions ancestrales. Des différences, il n’en résultait plus qu’une. Et elle comptait bien le rester. Avant que Solveïg ne puisse intervenir, une jeune tête blonde apparut, tout sourire, toute candeur. Maëlys, adolescente de son état, était une jeune fille éprise de connaissances et qui, depuis quelques temps, commençait à vouer un certain intérêt envers ce que pouvait lui apporter sa tante. Sa mère était, de toute évidence, contre ce rapprochement entre Blithildis, qu’elle n’avait jamais considéré comme partie intégrante de sa famille, et sa fille qu’elle chérissait comme la prunelle de ses yeux. L’adolescente, elle, semblait s’amuser de la situation et elle apportait à chacune de ses apparitions le vent de la conciliation. Au fond, elle n’était que la nouvelle apparition d’une personne haute en couleur qui suivrait son propre chemin, comme Blithildis des années auparavant. Et cette vision n’enchantait guère sa génitrice. L’apparition de Maëlys clôt leur altercation, et la blondinette ne rechigna pas à rentrer avec sa mère. Pour Blie, cette petite était la preuve qu’après Alcide et elle-même, il y aurait toujours quelqu’un pour tenir tête aux conventions familiales. La preuve qu’après son frère, elle aurait toujours la possibilité d’entretenir une relation particulière avec un membre de sa famille qui l’acceptait.