▷ Lothian porte le même prénom que son père, militaire de carrière lui aussi. Ce dernier le plaça dans une école d'armes dès ses quatre ans, et s'occupa lui-même en grande partie de sa formation. Lothian eut donc toujours une longueur d'avance sur ses pairs, ce qui lui valut d'être le sujet de nombreuses jalousies qu'il ne fut même pas question de dissimuler. ▷ Si son paternel l'effrayait étant enfant, Lothian a peu à peu appris à le détester en grandissant, et à haïr chaque cellule le composant suite aux heures interminables qu'ils passèrent à s'entraîner ; quand un beau jour le fils réussi à vaincre le père, ce dernier considéra que son rôle de professeur était terminé. Lothian n'avait jamais été aussi heureux de toute sa vie. ▷ Lothian passe une grande partie de son temps libre à lire, en grande partie les écrits d'anciens chefs de guerre, ce qui lui vaut une culture remarquable dans ce domaine. ▷ Il fut incorporé à la milice et monta les grades plutôt rapidement, malgré son jeune âge et l’antipathie de ceux qui le pensaient, à cause de son nom, aussi froid et inflexible que son père ; à noter qu'ils ne se fourvoyèrent pas totalement. ▷ Il considère malgré ses origines Perle que chaque être humain est libre et possède son propre libre-arbitre. Par conséquent, il s'est de nombreuses fois heurté aux avis de ses supérieurs quand il était question, par exemple, de traiter plus sévèrement les Cendre que les dignitaires. ▷ Lothian peut être considéré comme une sorte de maniaque étant donné qu'il prend un bain tous les jours et nettoie son épée matin et soir. ▷ Il ne s'est jamais marié pour la simple et bonne raison que son père n'a pas jugé utile de l'y obliger. ▷ S'il estime quelqu'un, il lui est fidèle. Mais sa tendance naturelle à considérer les autres comme des simplets ne l'aide pas dans cette entreprise. ▷ Il déteste profondément les Pacificateurs et les barbaries qu'ils s'amusent à perpétrer.

▷ An 225, 7 janvier.
L'eau de l'abreuvoir avait gelé. Une épaisse couche de glace couvrait la surface de l'onde, grisâtre sous un ciel de la même couleur. Le garçon la regarda un moment en grimaçant, puis souleva le col de sa chemise pour sentir sa propre odeur. Ce n'était pas terrible, mais il n'était vraiment pas certain d'avoir le courage nécessaire pour se laver là-dedans ce matin-là. Sérieusement, il était le premier à se lever parmi les élèves de l'école militaire, alors c'était toujours à lui de se taper ce sale boulot ; pour une fois, il se dit que c'était juste qu'un autre le fasse à sa place. Et puis, il allait se salir à peine quelques minutes plus tard, alors à quoi bon ? Avec un certain soulagement, Lothian tourna le dos à l'abreuvoir pour s'arrêter aussitôt. Là, à une vingtaine de mètres, son père le regardait, les mains sur les hanches. Il était trop loin pour le distinguer réellement, mais Lothian savait qu'il affichait cet air autoritaire qui ne le quittait presque jamais en présence de son fils. Ce dernier fit à nouveau volte-face et pris une grande inspiration. Son souffle s'échappa dans un épais nuage de vapeur. La glace. L'eau à température négative en dessous. Lothian se mit à frissonner avant même de la sentir couler dans son cou. Tentant de maîtriser ses doigts tremblants, il ramassa une pierre qui se trouvait au sol, et en assena un grand coup sur la surface grise qui se brisa immédiatement dans un craquement sourd. Le garçon sentait toujours la présence dominatrice de son père dans son dos et il se résigna pour de bon, ôta sa chemise, posa ses mains sur le rebord de l'abreuvoir et plongea sa tête dans l'eau glacée.


An 243, 14 juin
« Colonel, une nouvelle émeute vient de se déclencher en bas de l'escalier des Mille. »
Lothian ne releva pas la tête du parchemin qu'il était en train de lire. Essayer de lire serait en fait plus exact, puisqu'il était en définitive trop épuisé pour réussir à requérir le minimum nécessaire de sa propre attention. Les traits tirés, des cernes largement creusées soulignant ses yeux, il congédia le milicien venu l'avertir et enfouit un bref instant son visage dans ses mains. Depuis une semaine, date marquant l'arrivée des Glauques dans la cité, il n'avait quasiment pas pu fermer l'oeil. Si la majeure partie des habitants n'approuvait pas leur implantation, ils étaient – fort heureusement, seigneur – une minorité à exprimer leur mécontentement avec violence. Mais diable, ce qu'ils pouvaient être tenaces...
Lothian rejeta sa chaise en arrière et fit jouer un instant ses articulations qui protestaient à l'avance. Ce n'était pas encore cette nuit-là qu'il allait dormir.


An 244, 2 septembre
« … Comment vous dites ? »
« Quartz. »
« … Quartz. »
« Exactement. Dénomination officielle, ordre du Roi. »
Lothian ne répondit plus. Pokerface.
« Un problème ? » Voix rude.
« Non, père. Aucun. »


246, 29 mars
L'estomac avait été perforé à l'arme branche. Une lance, sûrement, vu la profondeur. Le reste des tripes s'était rependu sur le sol pavé, sous le bras du Quartz qui avait manifestement tenté dans son agonie de tout maintenir à l'intérieur. L'ensemble était nauséabond, et malgré la fraîcheur des mouches était déjà apparues, tournoyant autour du corps dans un bourdonnement continu. Lothian fixa un instant les pupilles vides tournées vers le ciel avant de reporter son attention sur le gamin Cendre qui leur avait signalé le meurtre.
« Il était déjà exactement comme ça quand tu l'as trouvé ? »
« Oui, monsieur. » répondit le gosse qui plissait le nez sous l'odeur écœurante. Lothian lui posa une main sur l'épaule et l'emmena quelques mètres plus loin, se retournant pour faire signe à ses soldats de ramasser le cadavre avant de se pencher à nouveau vers le petit témoin.
« Il n'y avait personne d'autre ? Tu n'as pas vu des gens s'enfuir, entendu quelque chose d'anormal ? »
Le petit secoua négativement la tête.
Rhathdan, le seul supérieur direct que Lothian ait à la caserne, s'approcha en essuyant ses mains contre son armure.
« C'est le troisième cette semaine, et nous ne sommes que jeudi ! » pesta-t-il sans accorder à seul regard au gosse. « Vous allez me régler cette affaire au plus vite et punir les coupables de ce carnaval, il n'est pas question qu'on se retrouve avec de nouvelles émeutes sur les bras. »
Lothian acquiesça. Il était déjà clair que ces meurtres n'étaient pas des cas isolés. Ils ne visaient que les Quartz, or le soucis était justement là : trouver quelqu'un qui ait une opinion à 100% favorable sur eux tenait du miracle. N'importe quel petit groupe qui se serait emparé d'une lance ou d'un couteau de boucher pouvait être à l'origine de ce début de massacre. Au sein de la milice certains murmuraient qu'il pouvait bien s'agir des Quartz eux-même, parce qu'après tout, ils ne pouvaient pas avoir perdu totalement leur sauvagerie initiale simplement en s'installant en ville.
« Pacificateurs. » C'était comme ça que le groupe se faisait appeler. Impossible de savoir s'ils étaient deux ou trente, et surtout, de qui il s'agissait.
Pensif, Lothian regarda les miliciens emporter le cadavre. Une flaque de sang noirâtre était restée sur le sol là où il s'était trouvé, rosace morbide et seule témoin restant de l'évènement. La pluie tomberait bientôt, et il ne subsisterait rien.

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