▷ Le bruit des rires s’éleva vers les cieux, la terre trembla sous les pas des enfants. Garçons comme filles étaient déguisés, bois et tissu étant les matériaux à disposition ils s’étaient confectionnés des armures, des armes et des robes. L’un, chevalier accompagné de son fidèle acolyte, délivrait la princesse des mains du sorcier, mécontent d’avoir été choisi pour être le malfrat de service. L’astre de vie était haut dans le ciel et veillé sur les gamins jouant, il était accompagné d’une légère brise de vent qui apportait un peu de fraicheur à la ville où régnait la canicule. Les quelques passants lançaient des regards amusés et doux au groupe juvénile. C’était une scène des plus tendres et radieuses. Le bonheur était porté jusqu’aux pointes des épées en bois. « Pourquoi ne vas-tu pas t’amuser avec eux ? » intervint une voix grave reconnaissable entre toutes. Eöl sursauta et se retourna, son père se tenait droit, il était imposant et promenait son ombre sur son jeune garçon. Il sourit et son fils lui rendit ce même sourire radieux avant d’hausser les épaules. « Je préfère lire. » lâcha-t-il simplement. « Les enfants de ton âge ne lisent pas, ils s’amusent. » Détournant les yeux du regard trop profond de son père Eöl perdit son sourire, et ferma avec une lenteur exagérée le livre qu’il tenait dans ses mains : L’histoire du Monde, un document où était écrite" l’histoire" très diminuée qu’on livrait aux pauvres gens. Ses cheveux clairs étaient longs et lorsqu’il baissa la tête son visage se cacha derrière un mur capillaire. « Mais.. je m’amuse. »

▷ Un coucher de soleil comme pas d’autres. Le cercle lumineux disparaissant lentement derrière un horizon lointain déjà plongé dans l’obscurité de la nuit arrivante. Les pieds nus glissant dans l’herbe encore fraiche malgré la chaleur pesante. Les derniers rayons donnaient au ciel une couleur de feu intense, le rouge se mêlant au jaune, l’orange prenant ses aises. La terre accueillit son corps comme une mère prenant son enfant dans ses bras. Eöl s’allongea, écarta ses bras et ouvrit les paumes de ses mains. Ses yeux étaient fermés et un sourire sans vie trainait sur ses lèvres. Le vent fouettait sa peau nue, ses cheveux encore longs flottaient à l’air et tout le monde semblait suivre ce courant fluide. Encore une fois il se trouvait face à une beauté exquise, mais la plus belle lumière cachait la plus terrible des ombres. Eöl ne croyait pas au destin, ou il ne voulait pas y croire. Les choses n’étaient pas déjà programmées, les évènements venaient et s’en allaient. Personne ne pouvait prévoir ce qu’on allait vivre, c’était bien embêtant, il aurait pu faire quelque chose, aider, soulager. Seul le bruit du vent s’infiltrant dans les parois rocheuses se faisait entendre, le reste n’était que silence. Loin en bas l’océan venait s’écraser contre les rochers mais le son agité des vagues brisées ne parvenait pas jusqu’à lui. La respiration du jeune garçon était lente, comme s’il se retenait d’agir guidé par ses sentiments et les pulsions qui lui traversaient le corps à ce moment même. Un oiseau passa alors, fier et chantonnant, beau sous ses plumes blanches, ses longues ailes telles des rames lui donnaient l’aspect d’être un roi des cieux. Il trainait au-dessus d’Eöl se demandant ce qu’un garçon pouvait bien faire allonger ainsi. Ce qu’il déduisit se transforma en paroles. « A quoi penses-tu petit homme ainsi bercé par un lit vert où la fine lumière pleut ? » Eöl sourit bêtement, pouvait-il faire autrement face à telle créature. De nouveau, le silence s’abattit soudainement sur l’ensemble de la scène. « Il est mort. » souffla le rêveur.

▷ Le pain puait l’humidité et était complètement moue. Le jeune homme ignora totalement le goût de la nourriture et arracha un généreux morceau de ses dents. La pluie frappait les vitres peu résistantes et des gouttes d’eau tombaient ici et là dans la pièce. Il engloutit rapidement la part de pain. « Elle le sait ? » Gemma Draelyn était dos à son fils, fixant derrière les carreaux sales la pluie diluvienne qui s’abattait sur SarkLir. La femme n’osait pas se retourner et être cruellement confronter au regard presque méprisant que l’homme tenait sur elle. « Non. » Eöl soupira, ce qu’il venait d’entendre était ravageur. « Il le savait ? » « Non. » Il abattit son poing sur la table avec force, son bras tremblant. « Tu vas réveiller la petite. » Se moquait-elle de lui ? Elle se comportait comme si cette chose était d’une banalité écœurante. Il se leva subitement, et entama les cent pas. Il venait d’apprendre que sa sœur, qu’il chérissait par-dessus tout n’était née de l’union entre leur mère et son père mais par celui de Gemma et d’un autre homme. C’était malheureux. Le jeune homme se sentait pris au dépourvu, il ne savait comment réagir face à une telle situation. Un flot d’émotion s’engouffrait en lui. Le martèlement de l’eau sur le toit créait un brouhaha qui trainait jusqu’à ses oreilles le rendant encore plus nerveux qu’il ne l’était déjà. Il soupira une nouvelle fois, sa mère s’était tournée et il put plonger son regard dans le sien, un échange accompagné d’une tristesse infinie.

▷ « Tu pars ? » demanda soudainement Luran alors qu’ils étaient face à face, en train de manger. Eöl sourit. « Oui. Je m’en vais pour AnkNor. » Il put lire une étrange détermination dans les yeux de sa sœur, connaissant sa cadette il s’attendait déjà à une folie de sa part. « Alors je t’accompagne. » Chose faite. « Mère ne serait pas d’accord. » Autant clore directement la discussion. « Mère est déjà au courant et elle est d’accord, nous t’accompagnerons. » Il écarquilla les yeux, et avala de travers sur le coup. Les fenêtres grandes ouvertes laissaient passer l’air marin jusqu’aux deux. « Tu as tout prévu, n’est-ce pas ? Je suis piégé.» Sa petite sœur lui servit son grand sourire radieux qui, toujours, réchauffait son cœur. « J’ai bien appris de toi. » Il se mit à rire, bientôt accompagné de la jeune fille.

▷ L’entrepôt était plongé dans les ténèbres, on n’y voyait pas. Situé à l’entrée, Eöl targuait dans sa tenue de commerçant, essayait d’apercevoir ce qu’il pouvait avec le peu de lumière du soleil qui s’infiltrait au travers le bois. « Tout y est ? » Le petit homme grassouillet à côté de lui semblait tendu et d’une voix fluette il enchaina. « Oui, oui, tout est parfait, je peux y aller. » Eöl était grand, fort alors que l’autre était petit et faible. Il l’attrapa par son col, glissa sa main sur son cou et le plaqua contre le mur. Il paniqua, se débattant avec insistance. Le jeune homme plaça deux doigts de sa main libre sur ses lèvres humides où venaient perler les gouttes de sueur. « Chut… chut. » Il eut un dernier sourire désolé, peut être que le petit trafiquant ne put jamais le voir mais après tout c’était le dernier de ses soucis. La lame transperça aisément la chair et bientôt le sol fut baigné de sang. « Un de moins. »

▷ « Vous êtes plutôt bien habillé pour un Cendre. » l’étranger était accoudé au bar et lançait un regard caustique à Eöl. Ce dernier le regarda à peine avant de se focaliser de nouveau sur son verre rempli d’alcool, sans répondre à la question. « J’ai du travail pour vous. » Il avala une nouvelle gorgée et posa délicatement son verre. « Pas intéressé. » L’étranger sourit, il semblait s’attendre à cette réponse. « Ça paie bien. » Il soupira, la discussion d’abord sans intérêt devenait lourde. « J’en ai rien à foutre. » Le sourire de l’homme assis en face de lui ne s’effaça pas, au contraire. « Ça pourrait aider ta mère, et ta sœur au passage. » Eöl tourna vivement la tête vers lui, un regard perçant et colérique s’abattant sur l’étranger. Ce dernier continua. « Je me permets d’insister. » « En quoi cela consiste-t-il ? » « Vends tes épices. Je viendrai vers toi au moment opportun. » Et il disparut aussi vite qu’avec disparu ce roi des cieux.