▷ J'aime ma famille. Mais j'estime que je suis mal née. Mon univers, la vie qui aurait du être la mienne, celle pour laquelle je suis faite, ne se trouve pas dans la ville Cendre. Je ne peux m'empêcher d'y penser ▷ Je suis somnambule depuis mes quatre ans. ▷ Quand je ne passe pas mes nuits a déambuler dans les rues(consciemment ou inconsciemment d'ailleurs), je lis et je rêve à une autre existence ▷ Je commence ma nuit avec un peu d'infusion de doussamère. D'aucuns me disent que ça pourrait atténuer voire éradiquer mon somnambulisme : pour l'instant pas de changements. ▷ Les clients de la taverne savent peu de choses sur moi. Je n'aime pas alimenter leur conversation d'ivrognes. Mais j'ai toujours une oreille qui traîne. ▷ Je fuis les hommes de mon age. Je préfère la sagesse des anciens car leur propos n'est pas teinté de convoitise. ▷ Je ne cesse jamais de toucher à mes cheveux. Attachés, détachés. Attachés?... détachés. ▷ Mon père m'a appris le maniement de l'arc. Depuis je m'entraine avec lui dès que nous avons un peu de temps. ▷ On dit e moi que je suis un peu paranoïaque. Honnêtement, j'approuve. ▷ Parmi les évènements les plus importants pour moi il y a cette fete qui a lieu tous les cinq ans. Le Festival de Kaïa, et ses couleurs, ses rites et soudainement une liberté de circulation dans la ville Perle, un émerveillement et un sentiment de reconnaissance qui touche mon coeur depuis l'enfance.

Enfant, j'étais rêveuse.
Mon père m'asseyait sur le comptoir de notre taverne et j'observais les plus vieux qui, lassés de leur existence morne et inutile dans cette ville, passaient leur journée à s'oublier dans la boisson. Les plus jeunes avaient cette excitation étrange, proche de l'intimidation. Il est vrai que je ne pouvais pas comprendre ce qu'il se passait autour de moi. Alors j'imaginais que la taverne était un grand banquet. Je voyais sans peine un décor somptueux à la place des panneaux en bois et sentais des essences précieuses dans l'air, remplaçant les effluves particulièrs des corps. Parfois, le chant des biens-ivres venait perturber ma rêverie et je me réveillais dans une ambiance survoltée, ma mère courant de table en table pour servir les clients qui chantaient à tue-tête des chansons populaires ou paillardes dont le sens m'échappait totalement. J'aimais cette taverne éveillée, celle du soir. Lorsque je suis allée à l'école, je n'ai quasiment plus fréquenté «La Gouse d'Ail» le jour. Mais j'avais la chance d'y croiser certains de mes professeurs dans la soirée...

Mes premières années d'école étaient semblables à celle de n'importe quel enfant. Mais assez tôt, j'ai compris que j'aurais beaucoup de mal à me lier aux autres. Ils n'étaient qu'insouciance et jeux, quand je préférais continuer à lire les parchemins, étudier. La Gouse d'Ail m'avait appris que les gens étaient malheureux de leur existence, d'autant plus qu'ils ne se donnaient pas les moyens d'en faire quelque chose. Ils subissaient leur vie au lieu de la créer. J'avais envie de me distinguer de cette populace, malgré le respect que j'avais pour ceux qui avaient vécu dans des conditions différentes de la mienne. J'avais seize ans et les idées spécifiques à mon âge. Surtout, j'avais envie de me surpasser, de franchir les barrières.
Je n'ai pas honte de ma situation sociale, contrairement à ce qu'affirme ma mère avec conviction. Je considère depuis toujours que je mérite une autre vie. C'est pourquoi j'ai voulu continuer à étudier. Mais malgré les différentes aides sociales, mes parents n'étaient pas aptes financièrement à me laisser poursuivre cette voie. Du moins c'était la raison qu'ils avançaient. Il me semble que, la lumière des idées nouvelles les effraies. Voir leur fille étudier, c'était oublier à jamais l'idée qu'elle reprendrait avec un digne mari la taverne du quartier... Or ils n'étaient pas question pour eux de renier ce projet. C'est pourquoi je me trouve coincée ici, dans un lieu où les gens que je côtoie chaque jour me renvoient à mon échec.

Cela ne m'empêche pas d'agir, à mon échelle, et conformément à cette volonté qui m'avait poussé à continuer mes études, je tente d'œuvrer pour des idées nouvelles dans mon quotidien. Lorsqu'on a ouvert les portes de la ville aux Quartz en 243, j'ai 21 ans. Mes parents qui craignaient l'inconnu, le réputé sauvage, répugnaient à les servir. Il a fallu de nombreuses interventions, dans la chaleur du cocon familial, ou devant un parterre de buveurs, pour que la Gouse d'Ail, puisse accueillir quiconque venu se détendre.
J'avais cependant pris gout à ces échanges familiaux virulent. Défendre l'intérêt des Quartz m'avait rendu sympathique auprès de certains clients, mais en réalité je venais de donner de la valeur à mon existence. J'étais prise, dans ce petit lieu où les chopes se fracassent les uns contre les autres, pour la porte parole du soutien à ces étrangers. J'étais parfois aussi l'épicentre de conflits qui faisaient trembler les murs de la taverne. Et c'est encore le cas aujourd'hui. Cela étant, j'ai compris que si j'étais capable d'instaurer un tel climat dans un établissement, je pouvais aussi le faire dans les murs de ma ville, et peut-être même par delà. La générosité comme crédo, l'obstination du bien-être commun et il semble qu'ainsi je pourrais vivre mes rêves d'enfant.


« Elyn... »
Assise sur le lit de sa fille, Gaëlys Gainelorr s'interrogeait. Elle avait entre les mains ce parchemin sur lequel l'écriture penchée et rapidement exécutée lui avait été difficile à déchiffrer. « Certainement une œuvre autobiographique griffonnée à la hâte pour satisfaire son égo » pensa-t-elle, avant de sangloter. Se pourrait-il que sa fille ait honte de son origine ? Elle en était persuadée. Il lui semblait que ces élans de générosité soudain, s'ils pouvaient s'enraciner dans une pensée politique progressiste de sa génération, étaient motivés par un désir impossible à assouvir : passer de l'autre côté de la barrière. Devenir grande, dans la cour des grands.

«Je ne devrais pas être là. »
Réalisant qu'elle était entrée dans la chambre de sa fille et qu'elle lisait ce qu'elle avait trouvé sur un bureau de fortune, elle préféra sortir de la pièce, mais ses pensées se voulaient des craintes quand aux souhaits enfouis profondément dans le cœur de son unique enfant. Elle avait récemment annoncé à ses parents qu'elle quitterait bientôt la taverne pour se mettre au service d'une perle. Sa mère craignait de voir sa fille se perdre dans une folie des grandeurs qu'elle ne vivrait jamais pour son propre compte. Elle avait peur