J'ai beau t'aimer, tu pars quand même

Le réveil a été dur. S'endormir dans les bras de son cher et tendre lui a fait du bien, mais le réveil est plus difficile que prévu. Il est près de neuf heures du matin quand Aelwen ouvre les yeux et, déjà, elle a conscience que quelque chose cloche. Les draps sont froids et le lit lui paraît trop grand. Ce n'est que quand elle ouvre les yeux que ses soupçons se confirment. Edwan est parti. A la façon d'un voleur. Pas un seul mot de laissé, rien, juste le silence et son absence qui se font soudainement écrasants. L'envie de lâcher prise est là mais elle sait qu'elle doit rester stoïque. Tenir droite. L'envie de pleurer est bien présente, tapie au fond de son cœur, prête à la submerger, mais elle se lève. Comme un automate, elle se débarbouille furieusement, enfile sa Robe d'Historienne, brosse soigneusement sa longue chevelure blonde pour la laisser couler dans son dos, pour une fois, simplement retenue sur le côté de sa tête par une barrette bleue.

La température est clémente, aujourd'hui. Les vents sont tombés et le soleil brille joyeusement. Pourtant, même le temps radieux n'arrive pas à la dérider. Elle se présente au salon sans rien dire, le visage fermé, les yeux perdus dans le vague et même Anariel ne tente rien pour la sortir de la drôle de torpeur dans laquelle elle semble plongée. Elle touche à peine à son petit déjeuner, se contentant de picorer quelques grains de raisin de temps à autre. « Aelwen... Ton ordre du jour. » La voix de Pya Caltharund la ramène à la réalité quelques instants et elle s'empare machinalement de ce qu'elle lui tend. Un rouleau de papier fermé par un cachet de cire frappé aux armes du palais royal. Elle brise le cachet rapidement, déroule le papier pour parcourir rapidement les lignes tracées à l'encre violet foncé. Donjo, archives. Parfait. Ca lui donnera peut-être l'occasion de croiser Edwan. Quoique, elle n'est même pas certaine de vouloir le voir.

Aelwen prend juste le temps d'accompagner sa sœur jusqu'à l'école des Aspirants. Le trajet se fait en silence, un silence plutôt étrange d'ailleurs. La blonde observe un moment le bâtiment tandis que sa sœur disparait à l'intérieur. Elle a envie de retourner en arrière, parfois. Revenir dans le temps, à une période de sa vie où tout allait bien, où elle n'avait rien à se soucier d'autre que ne pas rater son coup en empruntant le puits gravitationnel de l'école... Elle sait bien que c'est impossible alors elle soupire et se détourne pour emprunter le boulevard des Armures et le remonter jusqu'au Donjo. Elle est fatiguée. Elle a envie de rentrer chez elle pour s'écrouler dans son lit mais elle referme la main sur la sangle de sa sacoche alors que la silhouette basse du Donjo se profile devant elle et, au loin, les paysages magnifiques du continent. Elle ne tarde pas à y rentrer. « J'aimerais voir Edwan Beothon. Où est-il ? » L'Armure à qui elle adresse sa question, une jeune femme à la crinière de feu et aux yeux bleus limpides, se racle nerveusement la gorge. « Il est dans sa chambre mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée de lui rendre visite, donna Caltharund. » « Je vous remercie. » Si seulement elle l'écoutait.

La jeune femme se dirige d'un bon pas vers les dortoirs. Elle connaît le chemin tellement bien qu'elle n'a plus besoin d'y réfléchir à force de l'emprunter. Très vite, elle se retrouve devant une porte quelconque, en bois clair, la main posées sur la clenche. Elle ne prend pas le temps de prévenir, elle entre et se fige brutalement. Pourquoi a-t-il fallu qu'il soit dans son lit, nu, avec une autre femme à califourchon sur ses hanches ? Aelwen sent son cœur imploser au creux de sa poitrine et les minuscules morceaux se dispersent au quatre vents. La douleur est cuisante. Intolérable. L'autre femme est belle. Très belle même. Peau dorée, cascade de boucles d'un blond presque blanc, yeux bleu outremer, poitrine généreuse et ferme, corps délié... Et Edwan semble prendre son pied et aucun des deux ne semble l'avoir remarquée. Les larmes jaillissent d'elles-même alors qu'elle sort en claquant brutalement la porte, et elle s'enfuit en courant. Il lui faut un refuge, n'importe lequel, peu importe du moment qu'elle peut s'éloigner. Elle ne prête pas attention aux Armures, à l'extérieur, qui l'observent passer avec un air curieux sur le visage. Elle manque de dégringoler dans les escaliers et, quelques minutes plus tard, elle est enfermée dans la salle des archives, assise à même le sol, le dos appuyé contre la porte. Les sanglots déchirent sa gorge et la même question taraude encore et encore son esprit. Pourquoi ?